Les cultures dans le Vexin dans les années 1950
A cette époque, le Vexin avait ses activités agricoles orientées vers les besoins des populations liées à son sol, à ses industries locales, à la population urbaine proche.
Je m'explique. Le bon limon du plateau a favorisé la culture de la betterave à sucre, dans de grandes proportions, puisqu'il y avait une importante sucrerie à US.
Parallèlement, à cette culture de betterave à sucre, quelques grosses exploitations cultivaient la betterave dite à alcool et transformait celle-ci dans leur distillerie, on pouvait en voir à Puiseux, le Perchay, Gouzangrez, Frémainville, Théméricourt, Serans etc.
Les terres des vallées -Epte, Aubette de Magny et de Meulan, Viosne et autres, ont favorisé l'élevage des bovins (vaches laitières ou d’engraissement). Une laiterie dénommée société anonyme des fermiers réunis collectait tout le lait du secteur Ouest, une autre laiterie installée à Pontoise, ramassait le lait du secteur Est.
L'élevage des bovins laitiers était pratiqué dans toutes les fermes, afin d’utiliser les sous-produits de la betterave (pulpe).
En 1950, on ne connaissait pas encore la culture du maïs dans la région, cette culture ne dépassait pas la vallée de la Loire. Ce n’est qu'après génétiquement créé des variétés précoces que cette céréale cultivée, à la satisfaction de tous les agriculteurs, en ce qui concerne les assolements puisqu’ à cette époque le maïs est venu remplacer en partie les emblavements des betteraves terriblement diminués par la suppression des sucreries et distilleries.
Aujourd’hui, on peut voir avec peine et nolstagie l’ancienne distillerie de Frémainville qui n’en finit pas de mourir.
La culture de la pomme de terre avait aussi son importance.
D'abord, chaque ferme en produisait pour ses besoins personnels, certains agriculteurs en cultivaient pour des grossistes alimentant le carreau des Halles à Paris : d’autres, enfin faisaient la pomme de terre à fécule (c'était mon cas), pour l’usine de Conflans Sainte Honorine.
La première sole de l’assolement triennal pratiqué dans le Vexin, comportait aussi la luzerne. C'était, comme les autres cultures précitées, un bon précédent pour le blé.
Donc, la luzerne était cultivée comme fourrage pour les vaches et les moutons. Quelques gros troupeaux importants de 500 à 1000 têtes, étaient encore présents jusque dans les années 60. La luzerne restait généralement 3 ans en terre. On peut encore ajouter, dans le cadre de la première sole, la culture du pois fourrager, récolté comme complément pour l'alimentation du bétail. Cette culture avait été remplacée quelques années plus tard, par la féverolle plus facile à récolter.
La deuxième sole dans l’assolement triennal comportait uniquement le blé, semé à partir du mois d'octobre sur toutes les parcelles porteuses des cultures indiquées ci-dessus. Exception faite -comme il est dit- de la luzerne qui était implantée pour 3 ans.
Le blé était donc la culture principale dans le Vexin ; à elle seulle elle représentait donc le tiers au minimum de toutes les cultures. Cultures faciles à mettre en place, à entretenir et à récolter.
Quelques grosses coopératives collectaient cette importante production : Pontoise, Mantes (pour partie), Magny-en-Vexin ; plusieurs dépôts secondaires complétaient la collecte : Avernes, Marines, Saint-Clair-Sur-Epte, Meulan.
La dernière sole, c’est à dire la troisième année recevait la culture des céréales dites secondaires : avoine et orge. l’avoine, à cause des chevaux encore nombreux dans les fermes, était l'énergie de l'exploitation , le moteur qui animait la tradition animale.
Dans certaines fermes ou il y avait des juments poulinières, la boucle était bouclée..
On produisait à la ferme toute l'énergie, on ne dépendait de personne.
L'activité agricole dans le Vexin
L'orge également était produite cette troisième année ; la majeure partie de cette production restait à la ferme et utilisée comme complément dans l'alimentation des bovins et ovins. En effet, les animaux ont besoin d’une alimentation équilibrée, précisément pour le lait et la viande. L'alimentation de base était la betterave fourragère ou la pulpe de betteraves sucrières et le foin de luzerne. Cette nourriture de base était complétée par du tourteau d’arachide ou de lin et par l’orge.
Voici donc les cultures qui étaient pratiquées dans le Vexin il y a 50 ans.
Une culture spécialisée : le pois de conserve :
C’est un peu plus tard dans les années 60 que la culture du pois de conserve s’est installée. S'il y avait des impératifs économiques liés à l'implantation des usines, le problème était celui du transport de la récolte de la plaine, à l’usine de transformation. En effet, le pois une fois récoltée, s’échauffe très vite dans les bennes des camions et la durée de transport à l'usine doit être inférieure à 2 heures, ce qui en limite le rayon.
Donc cette culture s’est développée ici avec le progrès technique des machines de récolte. Mais elle s’est trouvée limitée à cause de sa répétition dans les assolements ; en effet, elle ne pouvait revenir sur la même parcelle que tous les 6 ans à cause des maladies cryptogamiques. De plus, la concurrence entre les différentes usines a vu la disparition de plusieurs usines, notamment celle de Warluis (Oise) avec laquelle nous avons travaillée.
Le petit pois de conserve était malgré tout, une culture intéressante, elle est de la famille des légumineuses qui a la faculté de capter l’azote gazeuse de l'air et de l'emmagasiner dans le sol sur les nodosités des racines et de le restituer au profit de la culture suivante.
La moisson il y a 50 ans
A cette époque, la moisson, c'était l'évènement majeur de l’année : on fait la récolte, c'est la récompense d'une année de labeur, du labeur de tous les ouvriers de la ferme, parce que chez nous, dans les fermes moyennes, régnait l'esprit familial. Pour la moisson, les tâches étaient réparties ainsi ( elle ne variait pas d’une année à l' autre) :
1° les charretiers étaient chargés de la coupe des récoltes avec les lieuses (moissoneuses-lieuses) les machines étaient sorties du hangar, 5 jours avant la récolte pour la révision : pièces d'usure à changer, graissage etc. Les voitures (les farinières elles aussi, étaient sorties du hangar, équipées de «leur garde » (cornière) et chose importante, leurs essieux étaient abondamment graissés : opération effectuée en surélevant simultanément chaque côté de l'essieu avec un gros cric (genre cric de carrier) en dévissant l’écrou de l’essieu, en sortant la grosse roue en bois et enduisant ledit essieu de graisse épaisse. On remettait le tout en place, en ayant soin de ne pas refouler la graisse à l'extrémité.
Quant aux chevaux, au plutôt à leur harnais, il y avait bien sûr quelques révisions à faire : d’ailleurs c'était l’époque où le bourrelier s'installait à la ferme pour vérifier colliers, traits, brides, selles de limon, avaloirs, etc...
De plus, cet artisan fort apprécié, vérifiait également les toiles des lieuses : tablier textile muni de barrettes en bois lesquelles amenaient le blé coupé dans le lieur des machines. Voilà pour l'essentiel de la préparation à ce rude travail de la moisson.
2° Les journaliers.
Sous ce nom, figuraient les employés affectés aux différentes tâches de l'année : chargement manuel du fumier, du foin, récolte des pommes de terre, des betteraves, préparation journalière de l'alimentation des bêtes ou « provende ». A l’époque de la moisson, selon l'avancement des travaux, l’un des journaliers était chargé de détourer les pièces (parcelles) où se trouvaient les céréales, blé, avoine ou orge. Détourer, c'est-à-dire découper la récolte à la faux tout autour des parcelles, pour laisser libre le passage de la lieuse. Il faut bien comprendre que la machine était tirée par 2 ou 3 chevaux attelés de front et que pour le premier passage de ladite lieuse autour de la pièce, il fallait couper à la faux, la largeur suffisante sur laquelle passait les chevaux.
Ce travail de détourage était pénible, surtout avec la chaleur en plein soleil. Le faucheur devait savoir « rabattre » sa faux, c'est-à-dire raffiler la lame d'acier sur une petite enclume avec un marteau spécial ; celà demandait du temps et du savoir. Et puis de temps en temps au cours de la fauche et tous les 50 mètres environ l'ouvrier entretenait le fil de la lame au moyen d’une pierre à affûter fixée à sa ceinture et placée le plus souvent dans une corne de bovin.
Derrière le faucheur, un autre ouvrier ramassait le grain coupé avec une faucille et confectionnait des gerbes avec des rotins ou des liens faits avec la paille de la céréale qui venait d'être coupée.
3° l’homme de cour.
Celui qui l’hiver, assurait la nourriture du bétail, la propreté de la cour et des bâtiments ou éventuellement le tâcheron était préposé au chargement des gerbes dans les farinières. Celles-ci, était préalablement mis en tas, alignées de dix gerbes d’où diziaux. Le tassage des voitures revenait au charretier de son attelée. Celui qui était désigné au chargement de la récolte en plaine, était le calvanier, mot tout à fait local en Vexin.
Les autres ouvriers de la ferme, travaillaient au stockage de la récolte, soit sous des hangars agricoles quand il y en avait, soit à la confection des meules en plaine. Ce dernier travail demandait une certaine compétence : il s'agissait de stocker dans une meule ronde de 8 mètres environ de diamètre, la récolte de 2 ha environ de blé, ce qui correspond à près de 10 000 gerbes par meule. Pour faire ce genre de meule, il fallait un homme pour décharger les voitures de grains, en principe, c'était le charretier qui avait tassé sa propre voiture ; et puis, il fallait un autre homme, pour «passer la botte» au tasseur, celui qui comme un véritable maçon, élevait méthodiquement la meule en ayant soin de faire en sorte que la pluie ne pénètre pas à l'intérieur des bottes au cours de l’hiver. Lorsque la meule atteignait une certaine hauteur, le moment où il fallait diminuer le diamètre et commencer le cône, si caractéristique, il fallait un autre ouvrier pour passer des bottes au tasseur. Pour cela, on installait entre la meule et la voiture à décharger, une espèce de plate-forme en bois de 3 m2 environ, juchée sur 2 pieds en bois également de 4 m ; cette plate-forme avait dans la région le nom d’ecamé, dans d’autres régions, c'était la gerbière.
L'ouvrier était donc installé sur cet engin et servait de relais entre le charretier qui déchargeait sa voiture et l’autre collègue qui aprochaït des bottes au tasseur. Ainsi montait la meule, en dégradant jusqu’au moment où il fallait presque toujours un deuxième approcheur de gerbes quand le tasseur terminait son œuvre. Ce rôle de deuxième approcheur était souvent une femme, les hommes étant tous occupés à des tâches plus pénibles. Le deuxième approcheur était lui, tout simplement dans une espèce de niche, confectionnée à même la meule, cette niche était donc bouchée avec des gerbes au moment de la finition de la meule. Voilà donc l'emploi du personnel au moment de la moisson. J'oublie de dire, que dans les fermes moyennes, et à fortiori dans les petites fermes, c'était le patron qui tassait la fameuse meule.
Voici donc, la constitution d’une équipe de rentrée de la récolte. Certaines années il pouvait y avoir une seconde équipe réduite de rentrée sous hangar ou à la ferme.
De nombreux peintres, figuratifs ou abstraits ont su immortaliser ces énormes tas de gerbes que l’on ne reverra plus...
Il faut signaler que la coupe des céréales avec les moissonneuses-lieuses durait de 10 à 15 jours suivant le temps et que la rentrée de ces récoltes était du même ordre. La durée du travail journalier était de 10 heures minimum, parfois plus selon les caprices du temps. Mais cela se faisait dans la bonne humeur et la camaraderie, surtout parmi la main-d'œuvre jeune, importante à l'époque, garçons et filles. Une petite tradition partout respectée, voulait que les hommes avant le départ au champ, le matin, avait droit à la goutte. La goutte ou la gnole était le calvados à 50 % qui était servi dans des petits verres très épais et évidemment tous semblables... Ce qui le voulait, pouvait prendre un litre par demi-journée, de petit cidre, fabriqué à la ferme. Le petit cidre c'était le 2ème pressage des pommes ajouté d'eau.
Une fois coupée, la récolte était mise en tas, en général par les femmes de la commune et leurs enfants en mesure de travailler. Ces femmes étaient souvent les épouses des ouvriers. Ce travail consistait à mettre en tas de dix bottes (les diziaux) alignées, les gerbes liées à la machine. Ces tas comportaient 9 bottes dressées régulièrement autour d’une botte centrale : soit 9 bottes sur lesquelles était placée une dizième en forme de parapluie et placée du côté Ouest afin d’assurer une 1ère protection contre une éventuelle pluie. Ce travail était difficile à payer en raison de la diversité des employés et de l'abondance des récoltes. C'est pourquoi il était rétribué
comme pour les tâcherons, soit à l'hectare pour le 1er cas, soit au nombre de diziaux pour le second.
À propos du travail en temps de moissons, les conventions de travail en agriculture, exigeaient que les heures effectives consacrées à ces travaux, soient majorées de 25 % : ces heures supplémentaires ne rentraient pa dans le décompte des 2400 heures de travail par an. A signaler que les travaux de la moisson étaient précédés, le matin du 1er jour, de la messe des moissons. Tous les ouvriers et leurs patrons venaient donc assister à cette cérémonie pour demander au seigneur Dieu, beau temps pour la récolte et remercier de l'abondance des fruits de la terre.
A la grande ferme de Guiry, tout le personnel comprenait des ménages mariés et logés par la ferme. Juste après la dernière guerre, il ÿ avait 8 ménages employés : un vacher, un berger, 3 charretiers, un bouvier, un tâcheron et un homme à tout faire.
Pour terminer ce chapitre, il est bon de rappeler que parfois la précipitation dans les travaux de la moisson était mauvaise conseillère. Je voulais parler ici de la coutume ou plutôt de cette manie qui voulait que « terminer sa moisson le premier dans le village, était un mérite » le cultivateur qui finissait le premier, faisait comprendre qu'il avait fait plus vite que les autres, qu'il était mieux organiser etc. mais dans le fond, c'était un point d’orgueil. L'orgueil est un vilain défaut, mais parfois il en coûtait cher à celui qui commettait cette faute.
Ainsi, et 9 fois sur 10, le régime de cette erreur, était de rentrer la récolte plus tôt qu'il ne fallait. Tout le monde sait que la céréale, une fois coupée, ne peut être rentrée de suite : il lui faut un temps de séchage et à fortiori lorsque la pluie ou un orage a mouillé le grain ou la paille. Or, stockée la récolte prématurément provoque échauffement et moisissure et on a pu voir des agriculteurs pressés, obligés de défaire leurs meules, pour faire sécher les serbes échauffées et refaire à nouveau ladite meule...
Sur la dernière voiture qui était toujours ramenée à la ferme, le patron lui, disparaissait discrètement pour laisser le Personnel agir à sa guise. À l'initiative du premier charretier et sous sa direction, un petit résineux ou plus souvent un petit bouleau, était coupé dans le bois où il avait été repéré depuis longtemps. Puis, les ouvriers fabriquaient une petite croix de blé qu'ils attachait au petit arbre, ils y ajoutaient force guirlandes et serpentins ainsi qu’un beau bouquet de fleurs amené préalablement en plaine par une femme dévouée. Les chevaux aussi, étaient décorés de serpentins, le mai était hissé sur le haut de la dernière voiture chargée et c’est sous cet accoutrement que l'équipage rentrait à la ferme faisant entendre sa présence par de nombreux claquements de fouet. Arrivé à la porte de la maison, le mai était descendu : le 1er charretier offrait le bouquet de fleurs à la maîtresse de maison...accolade oblige... puis la récompense de ce geste consistait en une sérieuse rasade de vin agrémenté de petits gâteaux. Après ce cérémonial, le mai était fixé à sa place habituel à la porte de la ferme. Tout cela avait beaucoup de significations, de bon sens et de valeur symbolique et 1 est bien dommage que l'on ait pu trouver une substitution à ce rituel plein de charme. Cette coutume était le point d'orgue de la moisson, un temps d'arrêt obligé, où l'on fêtait dans la joie une année de labeur et aussi la satisfaction de voir terminer un mois de travail intense. D'ailleurs, depuis toujours, dans tous les pays du monde et sous toutes les latitudes, ce rite de fêtes est observé.
Chez nous, le lendemain des travaux, était journée, chômée et payée ; la Passée d'août avait donc sa place ce jour là. Dans les petites et moyennes fermes, la Passée d'août avait un trait de caractère trés familial, le patron était en quelque sorte le patère familias. Pas de protocole, une réunion décontractée autour de la grande table. Le menu était simple et abondant, il est évident qu'il n'était pas question de servir aux employés, des mets auxquels ils n'étaient pas habitués. Naturellement, la patronne était aidée pour la cuisine par la bonne -la femme qui aidait habituellement au ménage et à la basse-cour- ainsi que des femmes d'ouvriers. On mangeait bien sûr des produits de la ferme et du jardin et aussi, curieux détail, des beignets. Inutile de dire que la boisson ne manquait pas, évitant toutefois l'abus de vin. C'était généralement le midi que se tenait le repas où à la fin chacun y allait de sa chanson, plus ou moins appropriée selon les personnes, mais toujours correcte et sans débordement.
Il faut signaler que les épouses de ouvriers, ainsi que le vacher et sa femme qui n'avaient pas participés à la moisson, faisaient partie de la fête, pour bien prouver que cette fête était celle de la communauté de l'exploitation. Au total, on passait la vingtaine de convives... On ne tardait pas trop à table car l'habitude, voulait que l'on aille faire une promenade après. Je me souviens d’une année, c'était en 1950; où l'on organisait une véritable expédition en voiture. On était loin de la réglementation routière, mais la maréchaussée était indulgente dans ces cas là. Pensez donc, on avait eu l'audace de partir avec les 2 véhicules motorisés de la ferme, chargés de tout son monde : tout d’abord dans la jeep de la ferme, 4 personnes et dans la remorque à 2 roues attelée à l'arrière, 10 personnes assises sur des bancs, et puis dans un autre véhicule, des surplus américains (un dodge 4 x 4) 10 autres personnes : 2 à l'avant, et 8 à l'arrière dans la caisse aménagée en banquettes. Au cours de cet après-midi, on était allé sur la route touristique de la Roche Guyon pour revenir par Fourges, Chaussy et Magny-en-Vexin. Naturellement, arrêt obligé dans toutes ces communes, chacune payant son coup, comme c'était la tradition. Tout le monde était gai, mais les chauffeurs des 2 voitures, avaient su modérer leur appétit.
Voilà sommairement raconté, cet épisode de la moisson qui était le meilleur de l’année : beaucoup de travail physique, dur, mais combien compensé par la bonne humeur, la solidarité dans un esprit communautaire qui n'est guère de mise aujourd'hui.
Les saisonniers en agriculture
L'agriculture a toujours manqué de bras jusque dans les années 60. C'est la mécanisation et le progrès technique qui ont enrayé cet afflux de main-d'œuvre saisonnière. Dans les années 30, et jusqu’à la guerre 40-45, on a fait appel aux Belges, Flamands pour la plupart, pour le binage et l’arrachage des betteraves sucrières.
Après guerre, on a eu les Italiens venus par contrat de travail pour ces mêmes travaux durant 4 ou 5 ans. (Ces Italiens au tempérament exubérant m'envoyaient des lettres ainsi libellées : «gentil Monsieur Huppe à Guiry »).Ensuite ce sont les Bretons, venus à leur tour, nous verrons plus loin dans la vie sociale du village.
… Entre temps et pour la culture du lin à fibres, ce sont encore des Belges qui venaient arracher cette plante textile à la main : un vrai travail de forçat a en avoir les mains en sang malgré la protection de gants. Pourquoi des Belges ? Tout simplement parce que le contrat de culture était signé avec une entreprise belge ; le lin, arraché, retourné, et roui sur terre puis lié à la main, repartait en Belgique pour y être traiter.
De ce fait, l’entreprise a mené son personnel qui n'avait aucun contact avec le village. Par la suite, se sont créées des coopératives linières principalement dans l'Oise, mais elles n’ont pu concurrencer les usines belges. Les Bretons, chez nous, des célibataires, après le binage des betteraves retournaient chez eux quelque temps pour revenir dans d’autres fermes de la région, faire la moisson, puis faire la saison des pommes de terre, arrachées à la machine, mais ramassées à la main. Après cette corvée de patates, ont les renvoyait à la ferme pour l’arrachage des betteraves. Ces gars [à étaient courageux et agréables, bien intégrés dans le village ; nous les logions dans une maison ouvrière et nous les nourrissions à la maison.
Le service de cette main-d'œuvre cessa définitivement dans les années 60 lorsque le binage des betteraves fut remplacé par des traitements chimiques et que des machines sophistiquées, remplacèrent et les chargements manuels.
Mais revenons à nos Bretons -deux frères venus du Morbihan- trouvèrent un si bel accueil dans le village qu’ils y restèrent pour avoir trouver l'âme sœur et s'y marièrent, l’un en 1954, l’autre en 1955 ; ce fut donc pour eux la parfaite intégration dans le milieu agricole professionnel, social et familial. Après leur mariage à Guiry, où ils s’implantèrent, tous deux trouvèrent un emploi à la société laitière de Magny.
Quand celle-ci ferma ses portes quelques années plus tard, l’un resta Guiry et trouva du travail à la SCAN aux Mureaux, l’autre, trouva une place de chauffeur de camions dans la région parisienne. Leur vie familiale fut une réussite.
Aujourd’hui, nous avons toujours de leurs nouvelles et même plus, puisque nous avons de fréquentes rencontres en famille. Tout cela pour dire que la destinée de beaucoup de gens, est due à peu de choses au départ : l’accueil, la compréhension, l'amitié...